Il arrive quelquefois en séance que la personne qui vient me voir ait besoin d'une métaphore pour aborder son problème autrement. Je me branche alors sur mon intuition et raconte une "histoire" qui va parler à son inconscient.
Je vous propose aujourd'hui de lire l'une d'entre elles. Peut-être qu'elle parlera aussi au votre?
Bonne lecture!
Sur la terre battue d'une piste de cirque, une ballerine s'entraîne. Elle virevolte sur ses pointes, dans son tutu impeccable. Quelques gouttes de sueur ruissellent sur son front. Elle travaille son numéro depuis quelques heures déjà et la fatigue se fait sentir. Mais arrêter est hors de question, elle doit être parfaite pour la séance du soir.
Les coudes sur la barrière encerclant la piste, un clown la regarde, perplexe. A ses yeux, le numéro de la ballerine est déjà exceptionnel, pourquoi en vouloir toujours plus ? Il s'avance vers le centre de la piste et l'imite maladroitement, à sa façon de clown. Il fait de grands gestes, trébuche, se roule par terre.
La ballerine est furieuse. Que vient faire ce clown idiot au milieu de sa répétition ? Ne voit-il pas que ce n'est pas le moment de rire et que ses pitreries ne font que l'agacer? Non, manifestement, il ne le voit pas. Il continue avec encore plus d'exagération, si cela est possible...
Jusqu'au moment où, n'y tenant plus, la danseuse le fait déguerpir par un violent coup de pied au derrière.
Le clown s'éloigne, tout penaud. La ballerine exulte, elle peut reprendre son entraînement.
Cependant, cinq minutes ne se sont pas écoulées que le clown réapparaît, suivi d'une dizaine d'autres. Ils investissent la piste et rivalisent en pitreries.
La ballerine reste d'abord sans voix, interloquée par tant de sans-gène, puis tente de les chasser les uns après les autres. Peine perdue ! Pour un de jeté hors de la piste, deux arrivent dans son dos. Très vite, la piste est envahie de clowns et la ballerine se retrouve coincée au milieu. Ils sont tellement nombreux qu'elle ne peut plus bouger. Elle prend peur, s'imagine mourir étouffée.
Tout d'un coup, la peur devient si oppressante que son cerveau lâche prise. Son corps prend immédiatement le relais et décide... de ne rien faire. La danseuse se laisse porter par la marée de clowns. Elle pensait tomber et se faire piétiner, mais il n'en est rien. Ses voisins la soutiennent. La première surprise passée, elle s'aperçoit que ce n'est pas si désagréable de se laisser aller. Son corps se met petit à petit en mouvement, sans qu'elle ait l'impression de l'avoir voulu. Elle qui a passé sa vie à contrôler son corps pour qu'il se plie aux exigences de sa passion, découvre la joie de le laisser faire. Elle ferme les yeux et ressent au plus profond d'elle-même les gestes harmonieux qu'elle fait sans réfléchir.
Absorbée par cette expérience inconnue, elle ne réalise même pas que les clowns lui cèdent peu à peu la place. Elle entame une danse comme elle n'en a jamais fait, venant du fond de son âme. Toutes les douleurs et tensions qu'elle tentait auparavant d'étouffer sans succès ont disparu, ne reste qu'une fluidité exquise.
Elle ne sait pas combien de temps s'écoule ainsi. Arrive simplement un moment où son corps s'arrête, repus. Elle regarde autour d'elle et voit tous les clowns assis sur les gradins, un sourire béat sur les lèvres. Jamais elle n'a vu public plus satisfait. Et surtout, jamais elle n'a pris autant plaisir à une représentation.
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